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LE DÉPART D'ABDOUL BAHA
Lundi dernier, Âbdoul Baha nous a fait ses adieux; d'ici bien peu de jours il aura quitté Paris, et je connais bien des cœurs qui sentiront un grand vide et seront attristés. Pourtant seul le corps nous quitte, et qu'est-ce que le corps si ce n'est justement ce par quoi les hommes se ressemblent le plus entre eux, qu'ils soient grands ou petits, sages ou ignorants, terrestres ou divins? Oui, vous pouvez être assurés que seul son corps nous quitte, sa pensée restera avec nous fidèlement, et son affection invariable nous enveloppera, et son influence spirituelle sera toujours la même, tout à fait la même, qu'il soit près ou loin de nous matériellement, peu importe, car les forces divines échappent totalement aux lois du monde matériel : elles sont omniprésentes, à l'œuvre toujours pour satisfaire toute réceptivité, toute aspiration sincère. Si donc il peut être doux pour notre être extérieur de voir son apparence physique ou d'entendre sa voix, de se trouver en sa présence, nous devons bien nous dire que, dans la mesure même ou cela nous paraît indispensable, c'est une preuve que nous sommes peu conscients encore de la vie intérieure, de la vie véritable. Sans atteindre aux profondeurs merveilleuses de la vie divine, dont de très rares individus seulement sont constamment conscients, dans le domaine de la pensée déjà nous échappons aux lois du temps et de l'espace. Penser à quelqu'un c'est être près de lui; et en quel- que lieu que se trouvent deux êtres, même si des milliers de kilomètres les séparent physiquement, s'ils pensent l'un à l'autre ils sont ensemble très réellement. Si l'on arrive à concentrer suffisamment sa pensée et à se concentrer suffisamment dans sa pensée, on peut devenir intégrale- ment conscient de ce à quoi l'on pense, si c'est un homme, le voir ou l'entendre parfois, en tout cas connaître sa pensée. Page – 127 Ainsi la séparation n'existe plus, elle est une apparence illusoire. Et en France, en Amérique, en Perse, ou en Chine, nous sommes toujours proche de celui que nous aimons et à qui nous pensons. Mais ce fait est d'autant plus réel dans un cas comme celui qui nous occupe, quand on veut se mettre en rapport avec une pensée spécialement active et consciente, une pensée qui revêt et manifeste un amour infini, une Pensée qui enveloppe la terre entière de sa tendre et paternelle sollicitude ne demandant qu'à venir en aide à ceux qui se confient à elle. Faites l'expérience de cette communion mentale, et vous verrez qu'il n'est pas de place pour la tristesse. Chaque matin en vous levant, avant de commencer votre journée, saluez avec amour, admiration et reconnaissance, cette grande famille, ces sauveurs de l'humanité, qui, toujours les mêmes, sont venus, viennent et viendront jusqu'à la fin des temps, comme des guides et des instructeurs, comme d'humbles et merveilleux serviteurs de leurs frères, afin de les aider à gravir la pente abrupte de la perfection. Concentrez sur eux ainsi au réveil votre pensée pleine de confiance et de gratitude et vous en éprouverez bientôt les effets salutaires. Vous sentirez leur présence répondre à votre appel, vous serez entourés, pénétrés de leur lumière et de leur amour. Alors l'effort quotidien pour comprendre un peu mieux, pour aimer un peu plus, pour servir davantage, sera, à la fois, plus fructueux et plus aisé. L'aide que vous donnerez aux autres deviendra plus efficace et votre cœur se remplira d'une joie inébranlable. 9 juin 1913 Page – 128 |